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CACHEMIRE

DÉMARCHE:

A l’ombre des plis, à fleur des murs

Marie Gauthier lève le voile sur l’espace intime. Les pièces textiles marouflées sur toile ont double vocation, elles valent à la fois comme support et comme procédé génératif de l’image. La démarche picturale se trouve écartelée entre deux mouvements, l’un consiste à s’approprier l’espace des motifs originels du tissu, l’autre vise à s’en dégager. Le travail oscille entre capture de la forme et métamorphose, soumission au réel et défiguration.

Les lignes obliques et la densité des motifs créent une tension pour que s’ouvre une brèche sur l’imaginaire. Parfois adossés l’un à l’autre, les deux univers s’éprouvent dans une lutte de territoire, ou parfois, se mêlent. Des silhouettes informes se dérobent, drapées dans des plis translucides. Mais le voile dissimule moins qu’il ne montre ; les carnations roses sont plus nues que la chair dans le miroir. Cachemire voile et dévoile, confine en ses plis et déplie, esquive et livre aux volutes les secrets de la chambre, vibrations séculaires de l’art pariétal.

Alors résonnent ces vers d’Henri Michaux :

Je me prête aux ocelles

aux infimes déchirures, aux volutes

je me plie aux mille plis qui me plient, me déplient

qui traîtreusement, vertigineusement, m’effilochent

je laisse en frissonnant tirer les sonnettes sans fin

qui sans cesse pour rien m’appellent

infini

infini qui au corps me travaille

et rit de mon fini[1]

 

Marie Gauthier aiguille nos sens vers les plis d’un envers secret, quête de la doublure de soi, des déchirures vives et des ourlets secrets. De la couture, œuvre ancestrale féminine, à la clôture, il n’y a qu’un pas. Le jardin clos est celui de l’épousée dans le Cantique des Cantiques : « tu es un jardin bien clos/ ma sœur, ma fiancée/ une source fermée/ une fontaine scellée./ Tes canaux sont un paradis de grenades/ avec des fruits exquis/ le troène et la rose/ le nard et le safran/ ».

Les fleurs des murs deviennent des enceintes douces, jardin des pensées et des rêves féminins. La femme, être intérieur par excellence, se fond dans le rempart fleuri. Mais ici ou là, la flore délicate se métamorphose en lacis d’os et de chairs, car la femme n’est pas seulement une fleur, en chacune d’elle sommeille ce que Clarissa Pinkola Estès appelle la « Femme-Squelette [2]» et il faut « comprendre que l’amour n’est pas un lit de roses », dit-elle. « Pour aimer, il faut toucher la femme fondamentale, toute en os et pas vraiment belle », « désenchevêtrer la Femme-Squelette », c’est-à-dire « avancer dans un labyrinthe, descendre dans le monde souterrain », oser voir l’obscur en l’autre comme en soi-même, ne pas craindre d’effleurer les épines, prendre le temps de défaire les noeuds, et parfois marcher Sur un fil au risque de la chute. Vanessa, en son para-dit, esquisse une parade et se dérobe au regard dans l’attente de pouvoir se dire.

Ailleurs, des motifs floraux évoquent les sages miniatures indiennes où la rose, symbole d’amour et d’harmonie s’y contemple comme un mandala. L’artiste met en images une vie psychique féminine libérée des stéréotypes sociaux, mais heurtée au regard de l’Autre et empreinte d’une histoire culturelle multiple.

 

 

 

Françoise Caille

 

 

[1] Henri Michaux, Paix dans les brisements, 1959, extrait de L’espace du dedans,Paris, Gallimard, 1966, p.365.

[2] Clarissa Pinkola Estès, Women who run with the wolves, Myths ans Stories of the Wild Women Archetype, (Femmes qui courent avec les loups, Histoires et Mythes de l’Archétype de la Femme Sauvage), Ballantine Books, 1992, 1995, Grasset, Paris, 1996, p.212.

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