top of page

INCARNATS

DÉMARCHE:

Les œuvres de Marie Gauthier, rassemblées sous le titre Incarnats, sont dominées par le rouge. Le terme incarnat, dans notre langue, est intimement lié à cette couleur, et vient du mot italien incarnato qui signifie de la couleur de la chair. Ici, couleur et matière charnelle y sont tantôt mêlées, tantôt distinctes car le rouge est aussi celui de l’espace. Il enveloppe alors les figures et renvoie à la peau, autant qu’à la profondeur du corps. Lisse ou plissée, émaillée de bourrelets, de cicatrices, la peinture dévoile ses strates dermiques.

Dans son ouvrage La peinture incarnée, Didi-Huberman écrit : « Comme si l’évidence de l’incarnat, ce qui en lui fait le manifesté de la chair, n’était accessible que selon l’oscillation d’une double traversée, de surface vers profondeur, et retour » (1). La peinture offre une écriture du corps, elle en est à la fois le prolongement, par le geste du peintre, l’équivalent par ses couches superposées, et le miroir profond. L’auteur rappelle qu’au XVIIIe siècle, dans un Traité du coloris (2), l’incarnat est pensé comme l’entrelac des trois couleurs primaires, le rouge des artères, le bleu des veines, le jaune de la peau, toutes les trois présentes dans les tableaux de Marie Gauthier.

L’espace est presque toujours cloisonné, mais les figures composent des formes unies, repliées sur elles-mêmes ou fusionnant dans l’étreinte : des êtres souvent sans tête, parfois sans membres, inachevés, embryonnaires, en devenir, ou seulement considérés dans leur chair et dans leur pouvoir d’union. Dans la série Intérieurs rouges on voit des fragments de chair jaillir des profondeurs de la terre. Ils s’arrachent  au magma incandescent, se hissent vers le soleil, et se métamorphosent en fleurs en une sorte d’éveil fondateur. Au sommet deux visages apparaissent, voilés de lumière.

 

 Dans d’autres toiles des corps flottent librement, ou, comme dans La Visite naviguent dans des bulles, matrices protectrices dupliquées à l’infini. Dans l’œuvre Incarnat, la vie se présente comme un théâtre, dont le rideau est affaissé au sol en un épais tapis de chair. La scène est une fenêtre ouverte sur le ciel, où le tourbillon végétal est à l’image du monde. Des feuilles d’or replacent la vision dans l’espace plan du tableau, là précisément où la figuration rejoint le réel, où des êtres se tiennent dans l’embrasure d’une porte, gardiens d’un passage vers l’inconnu.

 
La figure humaine est incarnée à différentes étapes de sa destinée, entre vie et mort, dans son processus de transformation individuel et collectif. Au cours de ce voyage, le vivant cherche la lumière, et tente en même temps de recréer la fusion originelle dans l’étreinte amoureuse et la communion des esprits. 
 

Françoise Caille 
Historienne de l'Art

1. Didi-Huberman, La peinture incarnée, Éditions de Minuit, 1985.
2. Le Blond, Traité du coloris, 1756.

bottom of page